Chapitre 15

 

Ils sortirent du village en silence et se dirigèrent vers les plaines luxuriantes qui s’étendaient au nord. Bientôt, ils n’entendirent plus les cris des villageois ni le son lancinant des tambours et des boldas. La lune n’était pas pleine, mais leur fournissait assez de lumière pour s’orienter parmi les hautes herbes. Et pas suffisamment, espéraient-ils, pour faire d’eux des cibles trop évidentes.

— Kahlan, je suis désolé, dit soudain Richard.

— De quoi ?

— D’avoir oublié qui tu es. La Mère Inquisitrice a une mission, et tu ne peux pas t’y dérober. Mais je m’inquiétais pour toi…

— C’est moi qui m’excuse d’avoir crié, dit Kahlan, surprise par la déclaration du jeune homme. Je n’aurais pas dû, mais l’idée qu’il y ait une guerre ici me met hors de moi. Je m’échine à empêcher les peuples des Contrées de s’entre-tuer, et ils s’étripent joyeusement dès que j’ai le dos tourné. Richard, j’en ai assez des massacres. Je pensais que c’était terminé… Je ne peux plus supporter ça. Vraiment !

— Je sais, dit le Sourcier en enlaçant sa compagne, et j’éprouve le même sentiment que toi. La Mère Inquisitrice mettra un jour un terme aux carnages ! Avec mon aide !

— Oui, avec ton aide. (Elle se laissa aller contre lui un instant.) À partir de ce jour, tu lutteras en permanence à mes côtés.

Ils s’éloignèrent de plus en plus du village sans voir autre chose qu’un sol obscur et un ciel étoile. De temps en temps, Richard s’arrêtait pour sonder l’obscurité et sortir de sa poche de chemise une des feuilles de Nissel. Peu après le milieu de la nuit, ils atteignirent une sorte de cuvette peu profonde. Le Sourcier regarda de nouveau alentour et décida qu’ils attendraient ici. Il vaudrait mieux, expliqua-t-il, que les Bantaks les trouvent, plutôt qu’ils aient l’impression d’être attaqués.

Richard aplatit un petit carré d’herbe, où ils s’assirent pour guetter l’arrivée des guerriers. Chacun fit un somme pendant que l’autre montait la garde, les yeux rivés sur le nord. Une main sur les siennes, Kahlan regarda le Sourcier se reposer, un œil restant braqué sur l’horizon. Combien de fois avaient-ils sommeillé ainsi à tour de rôle, rassurés par la vigilance de l’autre ? Un jour viendrait-il où ils pourraient dormir ensemble, sans une sentinelle pour les empêcher de mourir ? Oui, décida Kahlan, ce jour arriverait, et il n’allait plus tarder. Richard découvrirait un moyen de refermer le voile et ils auraient enfin la paix.

Malgré elle, la jeune femme se demanda si Richard avait raison, cette fois. Les Bantaks attaqueraient-ils vraiment par le nord ? S’ils arrivaient par l’est, beaucoup de guerriers périraient, car Chandalen serait impitoyable. Elle ne voulait pas qu’il arrive malheur aux Hommes d’Adobe, mais les Bantaks ne méritaient pas davantage la mort. Eux aussi faisaient partie de son peuple.

Quand Richard se réveilla, l’Inquisitrice se blottit contre lui et s’endormit comme une masse sur une dernière pensée pour leur bonheur à venir…

 

Il la secoua doucement en la serrant contre lui, une main posée sur sa bouche. À l’est, l’horizon commençait à peine à s’éclaircir. Des nuages violets dérivaient dans le ciel, comme s’ils essayaient de dissimuler le soleil. Richard regardait fixement le nord. Allongée contre lui, Kahlan ne voyait rien, mais elle sentit à la tension de ses muscles que quelque chose approchait.

Ils ne bougèrent pas tandis que la brise se levait, faisant bruisser les herbes autour d’eux. Sans gestes brusques, Kahlan se débarrassa de son manteau. Il ne devait pas y avoir de malentendu sur son identité. Bien sûr, les Bantaks la reconnaîtraient aussi à ses cheveux longs, mais elle tenait à ce qu’ils voient sa robe blanche, histoire qu’ils ne se méprennent pas sur la raison de sa présence. Richard aussi enleva son manteau. Autour d’eux, des ombres se faufilaient entre les hautes herbes.

Quand ils furent certains qu’il s’agissait d’êtres humains, les deux jeunes gens se relevèrent. Des guerriers armés de lances et d’arcs s’écartèrent vivement en criant de surprise. Une longue ligne latérale de Bantaks avançait vers le village du Peuple d’Adobe.

Une vingtaine de guerriers surmontèrent leur étonnement et vinrent encercler les deux intrus. Kahlan se redressa de toute sa hauteur, les bras le long du corps. Elle avait adopté son masque d’Inquisitrice, comme sa mère le lui avait jadis appris. Debout près d’elle, la main sur la garde de son épée, Richard ressemblait à un félin prêt à bondir.

Les guerriers, vêtus de tuniques de peau, des broussailles en guise de camouflage, pointaient presque tous leurs armes sur les deux jeunes gens. Mais ils ne semblaient pas ravis de le faire.

— Vous osez menacer la Mère Inquisitrice ? lança Kahlan. Baissez vos armes sur-le-champ !

Les guerriers regardèrent autour d’eux pour s’assurer que les jeunes gens étaient seuls. Pointer des lances sur la Mère Inquisitrice paraissait leur déplaire de plus en plus. C’était un outrage sans précédent, et ils le savaient. On eût dit qu’ils hésitaient entre continuer, à leurs risques et périls, ou jeter leurs armes et s’agenouiller humblement. Quelques-uns finirent d’ailleurs par se fendre d’une demi-révérence.

— Lâchez vos armes ! répéta Kahlan en avançant d’un pas.

Les guerriers tressaillirent et reculèrent un peu. Puis, comme s’ils venaient de trouver un compromis acceptable, toutes leurs lances se détournèrent de Kahlan pour se braquer sur Richard.

Surprise par la tournure des événements, l’Inquisitrice vint se camper devant son compagnon.

— Que fais-tu ? murmura Richard dans son dos. Tu perds la tête ?

— Tais-toi, ou nous risquons de la perdre tous les deux, et pas au sens figuré. Je joue ma dernière carte. Si je ne peux pas les convaincre de parlementer, nous sommes fichus…

— Pourquoi ne t’obéissent-ils pas ? Je croyais que tous les peuples des Contrées avaient peur de la Mère Inquisitrice.

— Ils ont peur, mais d’habitude, il y a un sorcier à mes côtés. Ne pas en voir leur donne peut-être un peu de courage. Mais même dans ces conditions, ils ne devraient pas se comporter comme ça… (Kahlan avança encore d’un pas.) Qui parle au nom des Bantaks ? Qui prend le risque d’autoriser des guerriers à menacer la Mère Inquisitrice ?

Leur stratégie de rechange – viser Richard – n’étant plus praticable, les Bantaks perdirent encore confiance et baissèrent un peu leurs armes. Pas beaucoup, mais c’était déjà ça…

Un vieil homme se fraya un chemin parmi les guerriers et vint se camper face à Kahlan. Vêtu comme tous les autres, il portait autour du cou un médaillon en or gravé de symboles Bantaks. Kahlan le reconnut : Ma Ban Grid, le guide spirituel de son peuple. Son expression hargneuse le faisait paraître encore plus ridé que lors de leur précédente rencontre. Elle ne lui avait jamais vu d’autre expression qu’un sourire accueillant.

— Je parle au nom des Bantaks, déclara Ma Ban Grid, dévoilant les deux dernières dents qui garnissaient encore sa mâchoire inférieure. (Il regarda Richard.) Qui est cet homme ?

Kahlan prit une expression sévère.

 Ma Ban Grid ose interroger la Mère Inquisitrice avant qu’elle ait été saluée comme il convient ?

Les guerriers se dandinèrent, mal à l’aise. Le vieil homme, lui, ne broncha pas.

 Ce n’est pas le moment des salutations. Nous ne sommes pas chez nous, mais en terre étrangère, pour massacrer le Peuple d’Adobe.

 Pourquoi ?

 Les Hommes d’Adobe nous ont déclaré la guerre, comme l’avaient prévu nos esprits-frères. Ils ont abattu un de mes enfants. Nous devons les exterminer avant au ils nous tuent tous.

 Il n’y aura ni guerre ni tuerie ! La Mère Inquisitrice l’interdit. Les Bantaks seront châtiés de ma main s’ils désobéissent !

Les guerriers reculèrent en murmurant. Mais leur guide spirituel ne céda pas un pouce de terrain.

 Les esprits-frères m’ont également dit que la Mère Inquisitrice avait perdu le pouvoir sur les peuples des Contrées. La preuve, ont-ils ajouté, c’est qu’elle n’est plus accompagnée d’un sorcier. Et je n’en vois aucun à tes côtés… Comme toujours, les esprits ont dit la vérité à Ma Ban Grid.

Kahlan se contenta de foudroyer le vieil homme du regard.

— Que dit-il ? souffla Richard à l’oreille de l’Inquisitrice. (Quand Kahlan l’eut mis au courant, il avança d’un pas, se plaçant à sa hauteur.) Je veux leur parler… Tu peux traduire pour moi ?

— Oui. Il veut savoir qui tu es, mais je ne lui ai pas répondu.

— Eh bien, moi, je vais le dire à tous ces types, déclara le Sourcier d’une voix glaciale. Et à mon avis, ils n’aimeront pas ça…

Il regarda les guerriers, ignorant délibérément Ma Ban Grid. La colère de l’Épée de Vérité dansait dans ses yeux. Il l’avait invoquée avant même d’avoir dégainé la lame.

— Guerriers, vous obéissez à un vieil idiot qui n’est plus capable de distinguer les faux esprits des vrais ! (Les hommes crièrent d’indignation.) N’est-ce pas la vérité, vieux fou ? ajouta Richard en regardant Ma Ban Grid.

Le guide spirituel eut du mal à ne pas s’étrangler de colère.

 Qui es-tu pour oser m’insulter ainsi ?

— Tes faux esprits t’ont dit que les Hommes d’Adobe ont tué un des tiens. Ils ont menti, et tu as été assez stupide pour les croire.

 C’est toi qui mens ! Nous avons vu la tête de mon fils sur un poteau ! Les Hommes d’Adobe l’ont abattu, car ils veulent nous déclarer la guerre. Pour les punir, nous les massacrerons jusqu’au dernier.

— Parler à un imbécile commence à me fatiguer, vieillard ! Si les Bantaks chargent un crétin comme toi de communiquer avec les esprits, c’est qu’ils n’ont pas plus de cervelle qu’un moineau.

— Richard, tu vas nous faire tuer, souffla Kahlan.

— Traduis !

Pendant qu’elle s’exécutait, Ma Ban Grid s’empourpra tant qu’il ressembla vite à un poivron bien mûr.

— Les Hommes d’Adobe, ajouta Richard, n’ont pas tué ton fils, vieillard. C’est moi qui l’ai abattu.

— Richard, je ne peux pas leur dire ça ! Ils nous tailleront en pièces…

Sans quitter Ma Ban Grid des yeux, le Sourcier murmura :

— Quelque chose effraie assez ces braves gens pour les forcer à se comporter comme des sauvages. Si je ne leur fais pas encore plus peur, ils nous tueront et iront massacrer les villageois sans défense. Traduis !

Kahlan répéta aux Bantaks les deux dernières phrases du Sourcier. Aussitôt, toutes les armes se relevèrent.

— Tu as tué mon fils ! beugla Ma Ban Grid.

— Oui, fit Richard en haussant les épaules. (Il pointa un index entre ses yeux.) Une flèche, exactement là. Elle lui a traversé la tête au moment où il s’apprêtait à enfoncer sa lance dans le dos d’un homme qui ne lui avait rien fait. Je l’ai abattu, comme j’aurais tué un coyote sur le point d’attaquer un agneau. Celui qui frappe si lâchement mérite la mort ! Et l’homme qui lui a ordonné d’agir ainsi, croyant aux mensonges des faux esprits, n’a pas le droit de diriger son peuple !

 Nous allons te tuer !

— Tu crois ? Vous pouvez essayer, mais vous ne réussirez pas.

Richard tourna le dos au vieil homme et s’éloigna d’une vingtaine de pas, les guerriers s’écartant pour le laisser passer.

— J’ai tiré une seule flèche pour tuer un Bantak, dit-il en se retournant. Tirez-en une autre pour tenter de m’abattre, et nous verrons qui est protégé par les esprits du bien. Vieil homme, choisis ton champion. Qu’il me vise entre les deux yeux, comme j’ai visé l’assassin à la solde des faux esprits.

— Richard, tu es devenu fou ? s’écria Kahlan. Je ne vais pas leur dire de te prendre pour cible !

— Je réussirai, je le sens…

— Tu y es arrivé une fois, c’est vrai. Mais si ça ne marche pas ? Veux-tu que je te regarde mourir ?

— Kahlan, si nous n’arrêtons pas ces gens, ils nous tueront de toute façon, et le Gardien franchira le voile. Le conseil des devins se tiendra ce soir, et c’est tout ce qui compte. J’utilise la Première Leçon du Sorcier : le premier pas pour croire quelque chose, c’est vouloir que ce soit vrai, ou en avoir peur. Jusqu’à maintenant, les Bantaks sont persuadés que les esprits disent la vérité parce qu’ils ont envie de le croire. Je vais leur faire redouter que mes prochaines paroles soient la vérité…

— Et que comptes-tu leur dire ?

— Traduis avant qu’ils décident de ne plus m’écouter et de nous tuer !

Kahlan communiqua aux Bantaks la proposition du Sourcier. Tous les guerriers se portèrent volontaires pour tirer la fameuse flèche. Ma Ban Grid, les regarda, l’air ravi.

 Vous pouvez tous tirer sur le suppôt du mal qui a abattu mon fils ! dit-il enfin. Allez-y ! Tous ensemble !

Tous les arcs se pointèrent sur Richard.

— Espèce de lâche ! lança-t-il au vieillard. Guerriers, voyez-vous à quel point votre chef est fou ? Il sait qu’il écoute de faux esprits et voudrait que vous leur obéissiez aussi. Ce chien a compris que les esprits du bien me protègent, et il craint de relever le défi que je lui lance. C’est la preuve qu’il se joue de vous !

Mâchoires serrées, Ma Ban Grid leva un bras pour interdire à ses hommes de tirer. Puis il se tourna vers un guerrier et lui arracha son arc.

 Je vais te montrer que les esprits qui me parlent ne sont pas des imposteurs ! Tu mourras pour avoir tué mon fils et proféré d’ignobles mensonges.

À la vitesse de l’éclair, il tira une flèche empoisonnée sur Richard. Les guerriers hurlèrent de joie et Kahlan manqua une inspiration, la peur lui nouant le ventre.

Le Sourcier attrapa la flèche en plein vol, juste devant son visage.

Les guerriers se turent tandis qu’il avançait vers Ma Ban Grid, le projectile dans la main et les yeux brûlants de rage. Il s’arrêta devant le vieillard et cassa la flèche en deux avec un sourire triomphal…

— Les esprits du bien m’ont protégé, vieil imbécile ! Toi, tu as écouté des imposteurs.

Richard dégaina lentement l’Épée de Vérité, la note cristalline clairement audible dans un silence de mort. La pointe de l’arme vint titiller la pomme d’Adam de Ma Ban Grid.

— Je suis Richard le Sourcier, le compagnon de la Mère Inquisitrice. Et le sorcier qui l’accompagne !

Tous les guerriers écarquillèrent les yeux. Très pâle, Ma Ban Grid baissa les yeux sur la lame.

 Toi ? Un sorcier ?

— Oui, un sorcier ! cria Richard. J’ai le don et la magie m’obéit. Tes faux esprits t’ont menti : il y a bien un sorcier avec la Mère Inquisitrice. Ces imposteurs ont envoyé ton fils déclencher une guerre dont le Peuple d’Adobe ne voulait pas. Vieil homme, ils t’ont manipulé ! Un guide spirituel plus avisé s’en serait peut-être aperçu. Mais un abruti comme toi… (Les guerriers grommelèrent, choqués qu’on traite leur chef ainsi.) Si tu continues à défier la Mère Inquisitrice, j’utiliserai ma magie pour te tuer. Puis je ravagerai les terres des Bantaks, qui resteront stériles jusqu’à la fin des temps. Et tous les vôtres mourront dans d’atroces souffrances, car la magie tue salement. Aucun Bantak, femme, enfant ou vieillard n’échappera à ma fureur. Mais je commencerai par toi, Ma Ban Grid !

— Tu nous tuerais avec ta magie ? souffla le vieil homme.

— Si tu n’obéis pas à la Mère Inquisitrice, votre sort à tous sera terrible.

En verve, Richard énuméra une impressionnante série d’horreurs. Amusée, Kahlan remarqua qu’il puisait son inspiration dans le discours que Zedd avait tenu, quelques mois plus tôt, à la foule qui prétendait le lyncher, l’accusant d’être un méchant sorcier. Le Sourcier reprenait à son compte l’astuce de son vieil ami… et les Bantaks se décomposaient à mesure qu’il parlait.

Ma Ban Grid leva les yeux de l’épée et les planta dans ceux de Richard. Il semblait moins sûr de lui, mais pas encore décidé à s’avouer vaincu.

 Les esprits m’ont dit qu’il n’y aurait pas de sorcier avec la Mère Inquisitrice. Pourquoi devrais-je te croire ?

La colère déserta le visage de Richard comme par enchantement. Kahlan ne l’avait jamais vu brandir l’épée sans une lueur de rage dans les yeux. Là, il semblait doux comme un agneau. Étrangement, c’était encore plus effrayant, La paix intérieure d’un homme décidé à aller jusqu’au bout de son chemin…

À la pâle lueur de l’aube, la lame de Richard vira lentement au blanc. Son éclat augmenta au point que tous durent bientôt détourner les yeux.

Le Sourcier invoquait la seule magie à sa disposition : celle de l’Épée de Vérité.

Ce fut suffisant. Certains Bantaks lâchèrent leurs armes et se jetèrent à genoux en implorant le pardon du Sourcier et la protection des esprits. D’autres restèrent comme pétrifiés, ne sachant plus que faire.

— Excuse-moi, vieil homme, dit Richard, mais je dois te tuer pour sauver des centaines de vies. Sache que je te pardonne et que je regrette de t’exécuter.

En traduisant, Kahlan posa une main sur le bras de Richard pour l’empêcher de frapper.

— Richard, attends ! Laisse-moi une chance de tout arranger.

— Une seule… Si tu échoues, il mourra.

L’Inquisitrice savait qu’il essayait d’effrayer les Bantaks pour les libérer d’un envoûtement. Mais il lui faisait peur aussi. Au-delà de la fureur de l’épée, il plongeait dans un état… pire encore.

 Ma Ban Grid, dit Kahlan, Richard te tuera, ce n’est pas une menace en l’air. Je lui ai demandé d’attendre, afin de t’accorder mon pardon si tu reconnais avoir eu tort. Je peux le prier de t’épargner, et il m’écoutera. Mais il ne m’a laissé qu’une chance. Après, je n’aurai plus aucune influence sur lui. Si tu tentes de le tromper, le remède sera pire que le mal. Richard est un homme de parole. Il t’a fait une promesse et si tu recours à la ruse, il la tiendra…

» Saisis ta seule occasion d’entendre la vérité. Il n’est pas trop tard. La Mère Inquisitrice ne veut pas voir mourir un seul de ses enfants. Tous les hommes et toutes les femmes des Contrées sont chers à mon cœur. Parfois, Je dois en sacrifier quelques-uns pour que des milliers d’autres survivent. Ma Ban Grid, j’attends ta réponse…

Autour d’eux, les guerriers avaient baissé la tête et ne disaient plus un mot. Ils semblaient avoir pris conscience de s’être laissé entraîner dans une folie. Pacifiques par nature, les Bantaks regrettaient déjà leur égarement, dont ils paraissaient ne plus comprendre les raisons. Richard avait réussi à leur flanquer une frousse dix fois plus terrible que celle qui les avait poussés à se comporter comme des sauvages.

En attendant la réponse de Ma Ban Grid, Kahlan écarta de son front une mèche de cheveux que le vent faisait danser devant ses yeux. Son regard redevenu clair et calme, comme si le charme était rompu, le vieil homme leva la tête vers elle.

 J’ai écouté les esprits, dit-il d’une voix vibrante de sincérité, et j’ai cru qu’ils disaient la vérité. Le Sourcier a raison, je suis un vieux fou. (Il se tourna vers ses hommes.) Les Bantaks n’ont jamais semé la mort et le malheur. Et ils ne commenceront pas aujourd’hui.

Baissant la tête, il enleva son médaillon et le tendit à Kahlan.

 Mère Inquisitrice, remets-le aux Hommes d’Adobe, je t’en prie. Dis-leur que c’est un gage de paix. Il n’y aura pas de guerre entre nous… (Ma Ban Grid regarda Richard rengainer l’Épée de vérité.) Merci de nous avoir empêchés – de m’avoir empêché – de commettre une terrible erreur.

— Ma récompense est d’avoir sauvé des vies, dit Kahlan, en saluant le vieil homme de la tête.

— Demande-lui comment les esprits l’ont convaincu d’agir contre sa nature profonde et celle de son peuple, fit Richard.

 Ma Ban Grid, de quelle façon les esprits t’ont-ils inspiré le désir de faire la guerre et de tuer ?

 J’ai entendu leurs murmures, la nuit, confessa le vieil homme, un peu hésitant. Alors, la soif de violence est montée en moi. Je l’avais déjà éprouvée, mais sans jamais y céder. Cette fois, elle ma submergé. Je n’avais jamais connu cela…

— Le voile qui nous sépare du royaume des morts a été déchiré, annonça Richard. (Des murmures coururent dans les rangs des guerriers quand Kahlan eut traduit.) Des faux esprits risquent de te parler de nouveau. Reste sur tes gardes. Je comprends que tu aies été abusé, et je ne t’en garderai pas rancune. Mais j’espère que tu seras plus prudent, à présent que tu connais la vérité.

— Merci de ta clémence, sorcier, dit Ma Ban Grid. Je ne referai plus la même erreur…

— Les esprits t’ont-ils dit autre chose ?

 Je ne me souviens pas de paroles précises, répondit le vieil homme, pensif. Elles me communiquaient plutôt un sentiment qui m’emplissait d’un désir de violence… Mon fils, celui qui est mort, les a entendues aussi, car il était avec moi. J’ai eu l’impression que les voix s’adressaient à lui différemment. Ses yeux brûlaient de haine – plus encore que les miens. Il est parti aussitôt après la visite des esprits-frères.

Richard regarda le guide spirituel un long moment. Puis il parla enfin :

— Ma Ban Grid, je suis navré d’avoir dû tuer ton fils, et mon cœur saigne chaque fois que j’y pense. S’il y avait eu une autre solution, sache que je l’aurais adoptée.

Le vieil homme hocha la tête, mais ne parvint pas à répondre. Se tournant vers ses hommes, il parut soudain mort de honte.

 Je ne comprends pas ce que nous fichons ici, murmura-t-il. Les Bantaks ne sont pas des tueurs.

— Les faux esprits sont coupables, le rassura Richard. Je suis content que nous vous ayons aidés à voir la vérité.

Ma Ban Grid hocha une dernière fois la tête puis fit signe à ses guerriers qu’il était temps de rentrer chez eux. Les regardant s’éloigner, Kahlan soupira de soulagement, mais Richard serra les poings, l’air tendu.

— Que penses-tu de tout ça ? demanda l’Inquisitrice.

— Le Gardien a de l’avance sur nous, dit Richard. Il s’est donné le mal de te discréditer, toi, la Mère Inquisitrice. Il sème des pièges sur notre chemin pour réaliser un plan dont je n’ai pas la moindre idée.

— Et que proposes-tu ?

— De nous en tenir à nos projets : le conseil des devins ce soir, le mariage demain, puis le départ pour Aydindril.

— Richard, murmura Kahlan, tu es vraiment un sorcier. Tu tes servi de la magie pour libérer les Bantaks d’un envoûtement.

— Non. C’était simplement un truc que ma appris Zedd. Il m’a dit un jour que les gens redoutent plus que tout d’être tués par la magie, comme s’ils risquaient d’être « plus morts » qu’après un coup d’épée ou un accident… J’ai joué de cette peur et de la Première Leçon pour secouer les Bantaks. La terreur que je leur ai inspirée était plus forte que celle dispensée par les esprits.

— Et quand la lame a tourné au blanc ? insista Kahlan.

— Tu te souviens de la démonstration de Zedd, le jour où il nous a montré comment fonctionne l’épée ? Il affirmait qu’il est impossible de tuer quelqu’un qu’on juge innocent. (Kahlan hocha la tête : non, elle n’avait pas oublié.) Eh bien, il se trompait ! Quand la lame est blanche, on peut tuer n’importe qui, même une personne qu’on aime. Tu comprends pourquoi je hais la magie ?

— Richard, le don vient de t’aider à sauver des centaines de vies…

— À quel prix pour moi ? gémit le Sourcier. Quand je pense à faire virer la lame au blanc, je revois le moment où je l’ai fait devant toi, et où j’ai manqué te tuer.

— Mais tu ne m’as pas abattue… Avec des « si » on mettrait Aydindril en bouteille !

— Ça ne change rien à la douleur. J’ai déjà tué avec la lame blanche, et je sais de quoi je suis capable. Le digne fils de Darken Rahl ! (Il changea abruptement de sujet.) Je crois que nous devrons être très prudents, ce soir, pendant le conseil des devins.

— Voilà deux fois que nous sommes avertis que frayer avec les esprits est dangereux. Ne veux-tu pas renoncer au conseil ?

— Pour me tourner vers quelle option ? Le Gardien mène le jeu, Kahlan. Les événements s’accélèrent, et à chaque pas, nous découvrons que nous ne savons presque rien. Alors, dédaigner une occasion d’en apprendre davantage…

— Et si les esprits ne peuvent rien pour nous ?

— Au moins, nous en serons sûrs… Les enjeux sont trop élevés pour se dérober. (Richard prit la main de sa compagne.) Kahlan, je refuse d’être responsable d’un désastre. Ou de le laisser se produire en sachant que c’est ma faute.

— Pourquoi ? Parce que Darken Rahl est ton père ? Tu serais coupable de tout à cause de cette filiation ?

— Peut-être… Mais Rahl ou non, je ne peux pas laisser le monde entier tomber entre les mains du Gardien. Ni te livrer à lui. Il faut que j’arrête ça. Darken Rahl me hante du fond de sa sépulture. Je sais que tout est ma faute ! Ne me demande pas pourquoi, mais c’est une certitude. Si je n’agis pas, le monde succombera et le Gardien te torturera pour l’éternité. Cette idée m’effraie atrocement. La nuit, mes cauchemars me réveillent. Pour éviter ça je suis prêt à tout. Les risques ne m’arrêteront pas. J’assisterai au conseil des devins, même si j’ai peur qu’il s’agisse d’un piège.

— Un piège ? Tu crois que…

— C’est possible… Nous avons reçu un avertissement. Une raison d’être vigilants… Pendant le conseil, je n’aurai pas mon épée. Pourras-tu faire appel à la Rage du Sang ?

— Je l’ignore, car je ne sais pas comment ça marche. Et je n’ai aucun contrôle sur le phénomène…

— Eh bien, espérons que tu n’en auras pas besoin… Après tout, les esprits seront peut-être coopératifs… Ils l’ont bien été, la première fois…

Richard saisit l’Agiel qui pendait à son cou. Ses yeux gris étaient voilés par la douleur. Une nouvelle crise de migraine ! il se laissa glisser sur le sol et se prit la tête à deux mains pendant que Kahlan s’agenouillait près de lui.

— Avant de repartir, il faut que je me repose un peu. Ces maux de tête me tuent.

Kahlan savait que ce n’était pas une image… Et seul Zedd, en Aydindril, pouvait empêcher ça.

La jeune femme espéra que le jour du départ arriverait vite.

 

L’après-midi touchait à sa fin quand ils regagnèrent le village, où les célébrations continuaient. Richard allait un peu mieux, mais la souffrance voilait toujours son regard. Les Anciens se levèrent dès qu’ils virent approcher les deux jeunes gens et l’Homme Oiseau vint à leur rencontre.

 Et les Bantaks ? Les avez-vous vus ? Nous n’avons aucune nouvelle de Chandalen…

Kahlan sortit le médaillon d’or et le tendit à l’Homme d’Adobe.

 Ils étaient au nord, comme l’avait prévu Richard. Ma Ban Grid vous envoie ce cadeau en gage de paix. Les Bantaks n’attaqueront pas le Peuple d’Adobe. Ils ont commis une erreur et ils le regrettent. Nous leur avons fait comprendre que nous ne leur voulions pas de mal. Après tout, Chandalen aussi a commis une erreur…

L’Homme Oiseau hocha solennellement la tête et ordonna à un chasseur de partir vers l’est et de ramener Chandalen et ses hommes. Kahlan trouva que l’Ancien avait l’air moins satisfait qu’il ne l’aurait dû.

 Mon ami, quelque chose ne va pas ?

 Deux Sœurs de la Lumière sont revenues. Elles attendent dans la maison des esprits.

Kahlan blêmit. Elle avait espéré que ces femmes ne se remontreraient pas aussi vite.

— Les Sœurs de la Lumière sont dans la maison des esprits, dit-elle à Richard.

— Rien n’est jamais facile…, marmonna le Sourcier. Homme Oiseau, serez-vous prêts pour ce soir ?

 Oui. Les esprits seront exacts au rendez-vous.

— Sois prudent, mon ami. Et ne tiens rien pour acquis. Nos vies en dépendent. (Richard prit le bras de Kahlan.) Allons voir si nous pouvons nous débarrasser au moins d’un problème…

Ils traversèrent la place où les villageois dansaient, mangeaient ou écoutaient les joueurs de boldas et de tambour. Quelques enfants n’étaient pas encore au lit et s’amusaient comme des petits fous…

— Trois jours… marmonna le Sourcier.

— Pardon ?

— Leur première visite remonte à trois jours environ. Ce soir, je vais refuser leur deuxième proposition, et demain, nous partirons. Quand elles reviendront, dans trois jours, nous serons en Aydindril depuis quarante-huit heures.

— À condition qu’elles suivent le même rythme. Imagine qu’elles soient de retour demain ? Ou une heure après ton deuxième refus ?

Kahlan sentit le regard de Richard peser sur elle, mais elle ne tourna pas la tête vers lui quand il parla :

— Tu essaies de me remonter le moral ?

— Tu n’auras que trois occasions, Richard. J’ai peur pour toi et ces migraines risquent de…

— Je ne porterai plus jamais de collier ! Sous aucun prétexte, et pour personne !

— Je sais…, souffla l’Inquisitrice.

Le Sourcier ouvrit la porte et entra dans la maison des esprits. Les mâchoires serrées, il foudroya du regard les deux femmes campées au milieu de la pièce, puis avança vers elles. Capuche baissée, elles semblaient très calmes malgré leurs fronts légèrement plissés.

— J’ai des questions à poser, rugit Richard en s’immobilisant, et j’entends obtenir des réponses !

— Nous sommes ravies de voir que tu es en bonne forme, dit sœur Venta. Et toujours vivant…

— Pourquoi sœur Grâce s’est-elle donné la mort ? Et pourquoi ne l’en avez-vous pas empêchée ?

Sœur Elizabeth avança d’un pas, le Rada’Han dans les mains.

— Nous t’avons déjà dit que le temps des questions était révolu… À présent, seules les règles comptent.

Les poings sur les hanches, Richard dévisagea froidement ses interlocutrices.

— Je joue aussi selon des règles… Les miennes ! Voulez-vous connaître la première ? Aucune de vous ne se tuera aujourd’hui ! Autant parler à un mur !

— Moi, la Sœur de la Lumière Elizabeth Myric, je te donne une chance d’être aidé. La première raison d’accepter le Rada’Han était de garder les migraines sous contrôle et d’ouvrir ton esprit à l’enseignement qui te permettra d’utiliser le don. Tu as refusé cette proposition. Alors, je vais te révéler la suivante.

» La deuxième raison d’accepter le Rada’Han est de nous permettre de te contrôler.

— Me contrôler ? explosa Richard. Qu’est-ce que ça signifie ?

— Rien de plus ni de moins que ce que ça dit…

— Je ne mettrai pas un collier pour le plaisir d’être « contrôlé » par vous. Ni pour une autre raison, d’ailleurs…

Sœur Elizabeth leva le Rada’Han à hauteur de ses yeux.

— Comme tu le sais, la deuxième raison est plus dure à accepter que la première. Richard, tu es en grand danger. Et il ne te reste plus beaucoup de temps. Je t’en prie, accepte ! La troisième raison sera encore moins agréable…

Kahlan vit dans les yeux de son compagnon une lueur qu’elle n’avait remarquée qu’une seule fois depuis qu’elle le connaissait. Quand Grâce lui avait proposé le collier, le regard du jeune homme avait paru soudain étranger… et terriblement effrayant. Et comme la première fois, Kahlan en eut la chair de poule.

— J’ai déjà dit, fit Richard, sa colère soudain envolée, que je ne porterai plus jamais de collier. Si vous voulez m’apprendre à dominer mon don, je veux bien en discuter avec vous. En ce moment, des événements importants sont en cours. Un grave danger nous guette, et vous ne savez rien de tout ça. Le Sourcier a des responsabilités. Je ne suis pas un enfant, comme vos autres sujets. Avec un adulte, il est toujours possible de parler.

Sœur Elizabeth le foudroyant du regard, le Sourcier recula d’un pas. Les yeux fermés, il tremblait un peu.

Il se ressaisit, prit une grande inspiration, releva les paupières et soutint le regard de la femme. Quelque chose venait de se produire, mais Kahlan aurait été bien en peine de dire quoi.

Comme si elle était vidée de ses forces, Elizabeth baissa le Rada’Han et murmura :

— Acceptes-tu le Rada’Han ?

Richard ne détourna pas le regard.

— Je refuse, dit-il, d’une voix redevenue puissante.

Elizabeth blêmit et attendit quelques secondes avant de se tourner vers sa compagne.

— Pardonne-moi, ma sœur, car j’ai échoué. (Elle tendit le Rada’Han à Verna.) Tout dépend de toi, à présent.

— La Lumière te pardonne, souffla Verna avant d’embrasser sa compagne sur les deux joues.

Elizabeth se tourna de nouveau vers Richard.

— Puisse la Lumière te tenir pour l’éternité entre ses mains bienveillantes, dit-elle. Et fasse que tu trouves un jour le bon chemin…

Les poings toujours sur les hanches, le Sourcier ne broncha pas. Elizabeth releva le menton. Comme Grâce avant elle, elle leva un bras, et, d’un mouvement du poignet, fit jaillir de sa manche la dague à garde d’argent. Elle la tourna vers son cœur sous le regard d’acier du jeune homme. Kahlan retint son souffle, prise d’une fascination morbide devant la femme qui allait mettre fin à ses jours.

Au moment où la dague bougea, le Sourcier réagit enfin. À une vitesse hallucinante, il saisit le poignet d’Elizabeth et, de sa main libre, lui arracha larme. Elle se défendit mais n’était pas de force contre lui.

— J’ai exposé ma règle… Il n’y aura pas de suicide aujourd’hui !

— Par pitié, lâche-moi ! cria Elizabeth.

Sa tête se renversa et un éclair aveuglant qui semblait venir du plus profond d’elle-même jaillit de ses yeux. Elle s’écroula et Verna lui enfonça sa propre arme dans le dos avant qu’elle ait touché le sol.

— Tu dois l’enterrer toi-même, dit Verna. Si tu laisses quelqu’un d’autre le faire, tu auras jusqu’à la fin de tes jours des cauchemars provoqués par la magie. Rien ne pourra t’en débarrasser.

— Vous l’avez assassinée ! Espèce de cinglée ! Pourquoi ?

Verna nettoya son étrange lame sur sa manche, tendit la main, récupéra celle de la morte et la glissa dans la poche de son manteau.

— C’est toi qui l’as tuée, dit-elle.

— Son sang est sur vos mains !

— Comme sur le tranchant de la hache d’un bourreau… Mais ce n’est pas l’arme qui a tué…

Richard voulut lui sauter à la gorge. Elle ne tressaillit pas, se contentant de continuer à le regarder fixement. Les mains du jeune homme s’immobilisèrent avant d’atteindre leur but, comme si elles se heurtaient à une barrière invisible.

À cet instant, Kahlan comprit qui étaient les Sœurs de la Lumière.

Richard cessa de forcer sur la « barrière » et recula ses mains. Aussitôt, il parut moins furieux – presque apaisé. Puis il tendit un bras et saisit Verna à la gorge.

— Richard, croassa la sœur, les yeux écarquillés de surprise, lâche-moi !

— Comme vous l’avez dit la dernière fois, tout ça n’est pas un jeu. Pourquoi l’avez-vous tuée ?

Les pieds du Sourcier quittèrent le sol et il se retrouva en suspension dans les airs. Quand il resserra sa prise sur le cou de la femme, des flammes rugissantes apparurent autour d’eux et enveloppèrent le jeune homme.

— Je t’ai dit de me lâcher !

Encore quelques secondes et le feu magique consumerait Richard… Sans même en avoir conscience, Kahlan tendit le poing vers la Sœur de la Lumière. Des étincelles bleues crépitèrent autour de son poignet et de sa main alors qu’elle tentait de s’empêcher de frapper. Des éclairs échappèrent à son contrôle, partant à l’assaut des murs, du sol et du plafond – partout, sauf là où se tenaient Richard et son ennemie. Contenir son pouvoir était un tel effort que l’Inquisitrice en tremblait.

— Arrêtez ! cria-t-elle, alors que les filaments bleus absorbaient les flammes. Une mort suffit pour aujourd’hui !

Les éclairs disparurent.

Dans un silence total, sœur Verna regarda Kahlan, de la fureur dans les yeux. Richard se posa sur le sol et lâcha le cou de son ennemie.

— Je ne lui aurais pas fait de mal…, dit la sœur. Mon but était de l’effrayer pour qu’il retire sa main… (Elle se tourna vers le Sourcier.) Qui t’a appris à briser une Toile ?

— Personne. J’ai découvert ça tout seul. Pourquoi avez-vous tué sœur Elizabeth ?

— Tu as découvert ça tout seul ! railla Verna. Je t’ai dit que ce n’était pas un jeu, Richard ! Les règles sont les règles… (Sa voix se brisa.) Je connaissais Elizabeth depuis des années. Si tu as déjà fait tourner au blanc la lame de ton épée, tu comprendras ce que cet acte m’a coûté…

Richard ne lui révéla pas qu’il comprenait ce qu’elle voulait dire.

— Et après ça, vous pensez que je vais me livrer à vous ?

— Le temps te manque, Richard. Avec ce que je viens de voir aujourd’hui, j’ai bien peur que les migraines te tuent plus vite que prévu. Normalement, la douleur aurait déjà dû te terrasser. Mais ce qui te protège ne résistera plus longtemps. Je sais que tu détestes voir mourir les gens. Crois-tu que ça nous amuse ? Mais tout ça, nous le faisons pour te sauver ! Je te supplie de le croire.

Verna se tourna vers Kahlan.

— Méfie-toi de ton pouvoir, Mère Inquisitrice, car je doute que tu mesures à quel point il est dangereux. (Elle releva sa capuche et regarda de nouveau Richard.) Tu as refusé la première et la deuxième proposition. Je reviendrai… Il ne te reste qu’une chance. Si tu ne la saisis pas, tu mourras. Réfléchis bien, Richard…

Dès que la porte se fut refermée sur Verna, Richard s’agenouilla près du cadavre d’Elizabeth.

— Elle a utilisé sa magie sur moi, dit-il. Je l’ai senti…

— Comment était-ce ?

— La première fois, j’ai eu le sentiment qu’une force extérieure me poussait à accepter le Rada’Han. Mais j’avais trop peur du collier pour y accorder beaucoup d’attention. Aujourd’hui, c’était plus fort. La magie d’Elizabeth tentait de me forcer à dire oui. J’ai pensé à mon angoisse du collier jusqu’à ce que cette puissance se retire et me laisse refuser. (Il leva les yeux vers Kahlan.) Tu y comprends quelque chose ? Ce qu’a fait Elizabeth, puis le feu de Verna, et le reste ?

— Oui. Les Sœurs de la Lumière ont des pouvoirs magiques.

Richard se releva lentement.

— Des pouvoirs magiques… Alors, pourquoi se suicident-elles quand je refuse leur proposition ?

— À mon avis, pour transmettre leur pouvoir à celle qui prendra le relais. Ainsi, elle sera plus forte lors de la prochaine tentative.

— Suis-je important au point quelles sacrifient leur vie pour moi ? Et dans quel but ?

— Peut-être simplement pour t’aider, comme elles le disent…

— Elles refusent qu’un parfait inconnu meure, quitte à ce que deux d’entre elles y laissent la vie ? N’est-ce pas un dévouement suspect ? Quelque chose ne colle pas dans cette équation…

— Je ne peux pas te répondre, mais j’ai si peur que ça en devient douloureux. Je crains qu’elles ne disent la vérité, Richard : les migraines te tueront très bientôt ! Malgré les soins de Nissel, tu ne résisteras plus longtemps. (La voix de l’Inquisitrice se brisa.) Et je ne veux pas te perdre !

Richard enlaça tendrement la jeune femme.

— Non, tout ira bien… Je vais enterrer cette malheureuse. Ensuite, nous participerons au conseil des devins. Puis nous partirons pour Aydindril, et Zedd me tirera de ce mauvais pas. Je ne veux pas que tu t’inquiètes…

Kahlan hocha la tête contre l’épaule du Sourcier. La boule qu’elle avait dans la gorge ne lui autorisait pas d’autre réaction…

La pierre des larmes - Tome 2
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